© Inra, CARRERAS Florence
Depuis sa naissance dans les années 60 au Royaume-Uni, le concept de bien-être animal ne cesse d’évoluer. Sa définition même fait encore l’objet de travaux. L’Anses y consacre actuellement un groupe de travail.
« On est passé d’une définition minimaliste consistant à assurer les besoins vitaux et à limiter les souffrances au désir de maximiser les émotions positives », explique Pierre Le Neindre (1). Les progrès de la neurobiologie contribuent largement à cette évolution, au fur et à mesure que l’on explore les capacités cognitives et émotionnelles des animaux et que l’on connait mieux le fonctionnement de leur cerveau (2).
L’ensemble des acteurs s’accordent sur le fait que le bien-être animal est un objet de recherche pluridisciplinaire, qui associe physiologie, neurobiologie, éthologie, génétique, philosophie, sociologie, économie.
Construction d’un référentiel européen pour le bien-être animal
En 1992, le Farm Animal Welfare Council, un organe consultatif indépendant créé au Royaume-Uni, établit la notion des « cinq libertés des animaux de ferme » (« Five Freedoms » en anglais). Ces « libertés » constituent désormais un schéma de base pour établir la réglementation européenne concernant les animaux de ferme :
- Absence de faim et de soif
- Absence d’inconfort
- Absence de douleur, de blessure ou de maladie
- Absence de peur et de détresse
- Possibilités d’exprimer les comportements normaux de l’espèce.
Ces cinq libertés ont inspiré plusieurs démarches nationales à l’initiative des éleveurs (3) ou des ONG (4). A l’échelle européenne, plus de 200 chercheurs de 13 pays européens se sont associés au sein du programme « Welfare Quality » (5) pour établir un outil commun d’évaluation globale du bien-être des animaux en ferme. Cet outil définit des mesures à réaliser sur le terrain pour chaque type d’élevage, mesures qui se traduisent par des indicateurs agrégés en un score final. Cet outil a été décliné pour les porcs, les volailles et les bovins en conditions d’élevage dit intensif. « C’était une très grosse aventure, pas moins de dix ans de travaux », souligne Isabelle Veissier, qui a coordonné le groupe de travail chargé d’établir le modèle multicritère et le passage au score final.
© Inra, Isabelle Veissier
Illustration de la démarche d’agrégation de critères dans Welfare Quality, d’après Veissier et al. 2010.
L’élevage des vaches laitières passé au crible défini par Welfare Quality
« Ce qui est important dans la démarche Welfare Quality, c’est qu’elle part de l’observation des animaux, donc de leur état réel, et pas du seul examen des rations ou du logement. Elle repose sur une exigence de résultats et non plus sur une exigence de moyens » poursuit Isabelle Veissier.
L’outil Welfare Quality a été appliqué à 131 élevages de vaches laitières en France (6). Onze critères ont été évalués : absence de faim, de soif, de maladie, de blessures et de douleurs ; confort du couchage ; possibilité de mouvements ; accès au pâturage ; comportement social, relation homme-animal et état émotionnel.
Plus de la moitié des fermes ont reçu une qualification finale « moyenne » et plus d’un tiers « bonne ». Réaliser toutes ces mesures est certes très chronophage, mais cela a permis d’identifier les principaux problèmes pour concevoir par la suite un dispositif d’évaluation plus léger et plus opérationnel, en se concentrant sur ces problèmes, à savoir l’écornage, les boiteries et mammites, l’inconfort du couchage, l’état corporel et la relation homme-animal.
Cette étude a aussi montré que les vaches sont en meilleure santé sur de la paille, avec un bon niveau d’engraissement et de propreté. Elles sont moins à l’aise pour se coucher dans les étables à logettes, surtout si celles-ci sont trop petites… ou au contraire trop grandes, car les vaches peuvent se coucher en travers et se blesser avec les éléments de séparation.
« Nous continuons à affiner ces scores et à essayer d’identifier les liens de causes à effets afin de proposer un modèle global de construction du bien-être des vaches laitières et des conseils pratiques. En Espagne, l’évaluation Welfare Quality se traduit par une certification sur le lait. Certains distributeurs français s’intéressent de plus en plus à ces processus d’évaluation du bien-être pour créer des labels pour leurs marques » conclut Isabelle Veissier.
(1) Pierre Le Neindre est directeur de recherche Inra, en retraite. Il a coordonné deux expertises scientifiques collectives Inra, sur les douleurs animales (2009), et récemment sur la conscience animale (2017).
(2) Voir article 3 de ce dossier.
(3) Par exemple, le Guide des bonnes pratiques d’hygiène en France, ou les cahiers des charges hollandais IKB et allemand QS-QualitätundSicherheit.
(4) Par exemple, la marque Freedom Food développée par l’organisation anglaise RSPCA.
(5) Programme Welfare Quality (2004-2009). Plus de 200 chercheurs ou ingénieurs en sciences biologiques ou sociales, issus d’une quarantaine d’organismes de recherche ou de développement de 13 pays européens. Lire l’article. Référence : Veissier I., Botreau R., Perny P., 2010. Évaluation multicritère appliquée au bien-être des animaux en ferme ou à l'abattoir : difficultés et solutions du projet Welfare Quality®. Inra Prod. Anim., 23, 269-284. Consultable.
(6) Bretagne, Rhône-Alpes et Auvergne. Lire l’article.